domenica 20 febbraio 2011

Mahler Das Klagende Lied

La Composition

Chacun s'accorde à reconnaître que les Romantiques ont choisi la tristesse, l'angoisse et la douleur comme sujets d'expression favoris. Loin de faire exception à cette règle générale, Mahler a fait de la souffrance -en post-romantique qu'il était- la base et la condition même de son art. Certes, il a su la dominer et la sublimer dans les grandes oeuvres de maturité qui, au delà de la résignation, atteignent à la sérénité. Mais au début de sa vie créatrice, ses premiers Lieder, sa Première Symphonie et sa Cantate Das Klagende Lied sont le fruit d'une jeunesse misérable, orageuse et tourmentée. La plupart d'entre elles naissent en période de crise et refléteront ses passions malheureuses. Ce sont des aveux, des confidences, voire des crises de désespoir.
Contrairement à ce que l'on affirme en général, la plupart des oeuvres écrites par Mahler au Conservatoire étaient inachevées. A cette époque, "chaque ouvrage en chantier ne lui suffisait déjà plus avant même qu'il ne l'ait terminé". Avec ses trois Lieder de mars 1880, Das Klagende Lied (ou le "Chant Plaintif") est donc son premier ouvrage important et achevé. Le texte en a été rédigé par lui même à l'âge de 17 ans, en mars 1878, à la fin de son séjour au Conservatoire. Il est basé sur u conte de Ludwig Bechstein (1801-1860) connu de mahler depuis son enfance et lui même apparenté à L'Os Chantant des frères Grimm. Une version dramatique de ce conte, rédigée par un écrivain obscur nommé Martin Greif, avait été représentée en mai 1876 au Conservatoire de Vienne, sans doute en présence de Mahler. Celui-ci n'a rien retenu du texte de Greif, mais il peut cependant en avoir tiré son idée première : un opéra féerique en trois actes dont il devait parler bien des années plus tard au critique Paul Decsey. La version définitive n'a conservé que peu de traces de ce projet initial, à peine quelques traits de la seconde partie (Hochzeitstück). Le texte de 1878, avec ses longs récits et ses descriptions poétiques, n'a pas été pensé pour le théâtre, il suffit de le lire pour s'en persuader.

En 1880, Mahler tombe éperdument amoureux de la fille du Maître des postes d'Iglau, Josefine Poisl. Les parents de celle-ci voient d'un très mauvais œil cette idylle avec un jeune israélite sans argent et sans situation. Désespéré par le silence de Josefine, Mahler lui envoie au mois de mars les trois Lieder qu'il lui a dédiés, et c'est à elle très certainement qu'il pense aussi en composant Das Klagende Lied. Il traverse alors une période d'instabilité extrême, vivant du seul revenu de ses leçons. Il déménage sans cesse, chassé par les aléas de la misère ou seulement par le bruit qui le dérange dans son travail. Au mois d'octobre, au moment où il achève sa partition, il apprend successivement que plusieurs de ses êtres chers sont en train de sombrer dans la folie: une jeune fille dont il s'était épris quelques années auparavant et deux camarades de conservatoire, Anton Krisper, le confident des années noires, et Hans Rott, l'un des plus brillants espoirs de la jeune musique autrichienne. "Tout n'est autour de moi que douleur..., écrit-il à son ami Emil Freund. Elle revêt les plus curieux vêtements pour se moquer des enfants des hommes. Si tu connais sur terre un seul homme heureux, nomme-le moi vite avant que ne disparaisse le peu de courage qui me reste. "

A cette époque, Mahler est végétarien, son travail intensif l'épuise. Toutes les fois qu'il reprend un passage "insignifiant en apparence" du Klagende Lied, il est saisi d'une "étrange et forte émotion". Il croit voir émerger sa propre image d'un coin sombre de sa chambre. Comme s'il vivait tel ou tel épisode d'un conte hoffmannien, il lui semble que ce double cherche à se creuser un passage à travers le mur. Cette vision lui cause une douleur physique insupportable et déclenchera même, certain jour, une véritable crise nerveuse.


Le Prix Beethoven

L'esquisse du Spielmann, première partie de l'ouvrage définitif, avait été terminée le 21 mars 1880 et celle du Hochzeitstück (la Noce) le sera sept mois plus tard. Une fois la partition achevée, il lui restait à la faire jouer. Or, pour un jeune compositeur ayant fait de Vienne sa patrie, il n'existe pas de meilleur moyen de s'imposer que de gagner le Prix Beethoven. Malheureusement, celui-ci est décerné par un jury des plus conservateurs, constitué par les compositeurs Brahms et Goldmark, le critique Hanslick, et le chef d'orchestre Richter. Comme on pouvait s'y attendre, les musiciens épris de tradition furent épouvantés par les audaces d'un ouvrage tout à fait révolutionnaire pour l'époque et ils accordèrent le prix de 500 Gulden à des compositeurs de moindre envergure, mais qui avaient au moins le mérite de ne pas discuter les conventions et les idées reçues. Mahler, qui se sentait né pour la gloire, et non pas pour la vie obscure d'un créateur pauvre et ignoré, allait donc choisir "l'enfer du théâtre".
La version définitive
En décembre 1893 à Hambourg, Mahler retrouve Das Klagende Lied parmi d'autres manuscrits anciens. Il est aussitôt frappé par l'originalité de ce premier essai et s'exclame: "Je ne puis pas comprendre qu'une œuvre aussi étrange et aussi puissante ait pu jaillir de la plume d'un jeune homme de vingt ans... L'essentiel du Mahler que vous connaissez s'est révélé là d'un seul coup. Ce qui est pour moi le plus incompréhensible, c'est qu'il n'y ait rien à changer, même dans l'orchestration, tant elle est étrange et nouvelle!"
Le travail de Mahler en 1893 est une "copie intelligente", une "mise au point de l'ensemble avec l'aide de son expérience de chef d'orchestre". Il diminue en particulier le nombre des solistes, qu'il ramène à trois et supprime le Waldmärchen. La première partition orchestrale complète a heureusement survécu. Elle démontre que Mahler possédait à vingt ans une maîtrise instinctive, mais absolument stupéfiante de l'instrumentation, bien qu'il n'ait encore dirigé que quelques opérettes dans un minuscule théâtre de ville d'eau. Il était né orchestrateur comme d'autres naissent pianiste ou violoniste. L'originalité des nombreux passages préservés dans la partition définitive est là pour le prouver. En 1899, lors d'une seconde révision de la partition en vue de sa publication imminente, Mahler rétablira certains détails de cette première version, en particulier l'orchestre placé derrière la scène dans le Hochzeitstück.

Mahler lui même avait prédit en 1893 "qu'il n'arriverait jamais à imposer Das Klagende Lied" et il se trompait à peine. Il le dirigea plusieurs fois en public, tout d'abord à Vienne en 1901, puis à Amsterdam, mais l'ouvrage fut en général mal accueilli par la critique. Aujourd'hui encore, il est méconnu et sous-estimé et cet oubli est notoirement injuste. Non seulement la partition révèle qu'à vingt ans Mahler avait déjà découvert tous les traits caractéristiques de son style, mais elle s'impose aujourd'hui encore par son étonnante maîtrise, sa puissante originalité et sa vie expressive.

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